DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR*
Le père est le miroir dans lequel la petite fille puis l'adolescente
peut discerner les prémices de la femme qu'elle deviendra G. Bersihand Les filles et leurs pères |
Nos rapports avec notre corps sont empreints d'une certaine mouvance. Certains jours, notre miroir nous renvoie une image que nous considérons comme franchement hostile. Loin d'être une réalité objective, l'image du corps est propre à chacun. Elle est façonnée par nos idéaux, par nos attentes déçues ou comblées, par des mots, des regards aimants ou distants. C'est précisément en fonction de tous ces paramètres que nous nous créons cette vision que nous avons de nous-mêmes.
Il y a souvent un grand décalage entre le corps réel et celui que l'on désire. La plupart du temps, les disgrâces dont nous nous plaignons et que nous sommes souvent les seuls à pointer concernent moins la réalité de notre corps que des problèmes d'identité non résolus.
Pour certaines personnes, l'image corporelle est morcelée, elle n'est pas à même de les rassurer. Pour d'autres, elle est bancale, voire déformée.
L'anorexique qui se contemple dans son miroir caresse le rêve intime d'être débarrassée de ce corps qui l'encombre. Pour d'autres, il est un poids pesant qu'ils traînent comme une carapace gênante ou une cuirasse rigide véhiculant la honte.
Le sujet en surpoids a, en général, une piètre image de son corps. Il le néglige ou le dissimule sous des vêtements informes.
D'autres encore l'érigent en forteresse dans laquelle ils s'enferment sans pouvoir communiquer avec l'extérieur ; ils l'élèvent même en sépulture dans laquelle gît un corps qui ne renvoie plus aucun signe de vie à force de tout retenir.
Il y a aussi ceux qui l'utilisent comme un instrument de travail et l'usent prématurément.
Pourquoi tant d'ambivalences ?
La dictature de la minceur contribue fortement à cette haine implacable pour la moindre de nos imperfections.
La société valorise les minces, alors difficile de vivre en harmonie avec un corps qui ne correspond pas aux critères imposés.
Pour mieux le maîtriser, on entreprend de le traiter comme une machine à dompter, le soumettant aux régimes, à une discipline draconienne sans tenir compte de ses limites et de ses besoins. Ce corps-à-corps implique l'idée d'une lutte, d'une victoire à remporter à tout prix. Ainsi malmené, il devient surface de résonance en nous envoyant des messages auxquels nous restons sourds. Les émotions sont étouffées, la peur se niche au creux de l'abdomen ou du plexus solaire, les mots restent bloqués dans la gorge, la colère stagne au creux de la poitrine, ainsi s'inscrit la souffrance...
Lorsque la maladie atteint un lieu spécifique du corps, il s'agit d'un cri de l'être profond qui l'habite. Douleurs et symptômes sont autant de symboles à décrypter pour en comprendre le sens. Pour mieux juguler leurs maux divers, certains pensent éradiquer leur mal-être en recourant à la chirurgie esthétique. Il arrive que la métamorphose se révèle salutaire et redonne confiance mais le scalpel est loin d'être la solution compensatrice aux tourments profonds car les changements nécessaires relèvent souvent d'un tout autre répertoire.
Blessure narcissique, épuisement, mélancolie ou chagrin d'amour ne sont pas réparables par la chirurgie. Un coup de bistouri, même s'il est radical, n'élude ni une remise en question, ni une psychothérapie. Certains, en essayant, par cette voie, d'éradiquer leur mal-être déplacent tout simplement sur le corps les incertitudes et les exigences de leur inconscient. Derrière ces perpétuelles demandes, se profile une réelle discordance entre le corps et soi, une indicible détresse aussi, une soif d'amour ou une supplique qu'il faut entendre comme : « Aidez-moi à m'aimer ! »
Après avoir enquêté sur les pratiques en chirurgie esthétique, Noëlle Chatelet témoigne :
« J'ai rencontré des hommes et des femmes venus résoudre des problèmes liés à leur corps. En réalité, tous cherchaient des réponses beaucoup plus profondes sur leur être, leur identité, comme si le corps était le seul matériau, l'unique véhicule à notre disposition pour donner la parole à quelque chose en nous qu'on ne peut exprimer : le besoin d'un regard aimant. »
Et si nous accordions un peu moins d'importance au paraître ? A tant rechercher le bonheur à travers la perfection du corps, nous finissons par nous perdre. Etre bien dans sa peau, bien dans sa silhouette, c'est réduire autant que possible l'écart entre le corps réel et le corps rêvé, au-delà des critères de mode ou de société.
Nous songeons souvent à notre corps pour le couvrir de mille critiques mais nous omettons la plupart du temps de l'écouter, simplement pour entendre ses appels traduisant une exigence précise. Lorsqu'on parvient à être plus proche de soi, à analyser et décoder les messages qu'il nous envoie et à lui prodiguer les soins nécessaires, curieusement, il se transforme, les kilos que l'on essayait de perdre, s'envolent, le regard que l'on se porte se modifie.
Se projeter en permanence une image idéale ou se comparer sans cesse à autrui empêche d'être en accord avec la réalité de notre être. « Ce qui manque le plus aux hommes et aux femmes aujourd'hui, c'est le calme intérieur, la sérénité et la joie de vivre » écrivait K.G. Durckheim.
Prenons simplement le temps d'une petite rencontre avec soi pour faire silence et entendre les messages qui nous viennent de l'intérieur. Offrons-nous régulièrement ce rendez-vous avec nous-mêmes et profitons pleinement de l'instant présent pour explorer nos richesses intérieures, observer simplement ce qui se passe en soi, mais aussi autour de soi, s'arrêter un instant, ouvrir les yeux, regarder le soleil ou le ciel étoilé, écouter une musique, être présent à ses vibrations, apprendre à savourer la solide nourriture de la vie, et peut-être prendre conscience que le rayonnement que cela confère dépasse largement les critères de la mode et ce, quel que soit l'âge.
*Par Michèle Freud, psychothérapeute, auteure, Directrice de Michèle Freud Formations et auteur
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